Aller là où on ne nous autorise pas à être. Ce «nous» c’est moi et cet endroit c’est mes pensées et mon passé. Là ou j’imaginais aller à Constantine dans le Tarn par amour de l’absurde et dans une volonté de retourner en Algérie, là où ma mère et ma grand-mère ne se sont jamais autorisées à retourner. Je me retrouve à la terrasse d’un bar, trois kilomètres plus loin à me questionner sur mon passé. Sur ce qui m’a construit, sur ma relation avec ma famille et plus précisément mon père, qui lui n’a aucun lien avec Constantine. Je suis dans un endroit que je ne connais pas, entouré de gens que je ne connais pas à m’interroger sur celles et ceux que je connais le mieux et à penser aux endroits où j’ai vécu, et me dis que l’absurde a encore sa place dans ce projet. J’ai l’impression que je ne vais pas réussir à montrer et documenter ces réflexions tellement intimes elles sont. Je me dit aussi que c’est un peu ridicule d’avoir besoin d’un workshop pour enfin s’autoriser à penser réellement à son passé. Il y a presque un an j’ai pris un long moment à réfléchir à comment je voulais vivre, dans quel but. Je me suis au final rendu compte que le simple fait d’être en vie était une raison qui me convenait complètement et m’emplissait de bonheur. Ainsi j’ai choisi de vivre pour Aujourd’hui et j’essaye de l’appliquer au quotidien. Pour moi, cela suffisait, vivre au jour le jour, vivre en prenant conscience de tous mes sens pour me rappeler que je suis vivant. Et que le simple fait d’être en vie me suffit. Mais en faisant de cette réflexion mon credo, j’ai passé sous silence mon passé, pensant profiter d’un bonheur inconditionnel. Sans questionner ce qui m’a construit suis-je vraiment capable d’avancer ? J’ai souvent entendu ma mère me dire ce proverbe du Dalaï-Lama : «Il n’y a que deux jours où l’on ne peut rien faire : Hier et Demain». Je pensais bien faire en intégrant complètement ce qui m’entourait et ceci à longtemps suffit à me rendre heureux, prendre ce qui m’entoure au jour le jour : les gens, les sensations, les odeurs, les couleurs, les discussions... Mais cela a-t-il vraiment du sens si une fois intégrées, ces informations et ces émotions ne sont jamais regardées à nouveau. Quand je me dis que je vis pour Aujourd’hui, ne serait-il pas important de s’accorder un Aujourd’hui pour regarder ceux d’avant ? Pour revoir le passé avec son expérience présente, dans une pleine conscience purement personnelle, sans amis ou psychiatre pour en discuter. Je fais ça pour la première fois aujourd’hui et je le fais en espérant réussir à le montrer, ma parole n’est donc pas si juste. Ce n’est que le début du voyage. Le début d’un voyage qui fonctionne à l’envers pour commencer Aujourd’hui et finir Hier. Un voyage se rallongeant de jours en jours où je pense à l’Hier pour mieux profiter de l’Aujourd’hui. Je me suis conditionné à être heureux Aujourd’hui, mais je pense maintenant que pour l’être il faut savoir qui et comment j’étais Hier. Je ne pensais pas que ce voyage m’apporterait ça, je pensais faire de belles images, appeler ma grand-mère, savoir pourquoi elles n’était jamais retournées en Algérie et pouvoir expliquer avec émotion l’histoire de ma famille et des juifs d’Algérie. Mais je me suis retrouvé seul avec mes pensées pour seule distraction, là ou les gens et la musique sont les occupations principales de mes pensées habituellement, aujourd’hui ce sont mes pensées en elles-mêmes. Mon cerveau se questionnant lui-même et ma main mettant tout ça en forme. Je suis dans ma tête, un endroit ou je ne m’autorise pas à être. Je sors des sensations pour rentrer dans la réflexion. J’ai toujours exprimé mon «moi» à travers la musique, exprimant ce qui me constituait à travers le prisme abstrait de l’instrument et laissant les émotions me guider. Mais je découvre dans l’écriture une façon différente et à mes yeux plus pure d’exprimer mes émotions. Je pensais trouver des réponses à des questions du passé mais c’est le passé tout entier qui s’est ouvert à moi, me laissant à présent l’occasion, dès que je le voudrais, d’ y répondre. Et ces questions arrivent à un moment de ma vie ou il était primordial de se les poser. Un moment où coincé entre l’histoire de mes parents et mon moment présent je n’arrivais plus à avancer. Où j’avais besoin de tourner la page pour ouvrir un nouveau livre.
Vidéos et texte issus de l'installation "Constantine"
1024p ✕ 768p
4'00''
Installation "Constantine", février 2024
300 ✕ 200 ✕ 40 cm
4'00"
Constantine
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